Le graphite et l'acier(18 pages) © Copyright bibliotrutt.com |
J'avais eu mon diplôme de Centrale relativement tôt. J'avais vingt-trois ans et j'étais fou d'Annie. Une force étrange nous collait l'un à l'autre, comme des aimants. Rien ni personne n'aurait pu nous séparer. Ou alors cela aurait été une blessure terrible qui nous aurait laissé anéantis. Or on était en 1958. Il y avait la guerre d'Algérie. Il y a un film de Rozier, Bonjour Philippine, qui montre exactement ce que je pouvais éprouver à ce moment-là. Désespoir, révolte de devoir passer mes jeunes années dans cette aventure absurde. Je crois que j'aurais été prêt à déserter. Trahir la France et toute l'Algérie française. Mais j'étais jeune et il y avait le sursis. J'ai donc commencé à m'inscrire en Fac. Propédeutique Lettres à la Sorbonne (j'allais même passer l'examen et le rater honteusement). Puis on s'est mariés et j'ai cherché du travail. Qui pouvait engager un jeune qui n'avait pas fait son service militaire? Le CEA. Cela pouvait même être intéressant pour le service militaire que je pensais pouvoir faire au Département Militaire de ce même CEA qui à l'époque faisait la bombe. La bombe atomique bien sûr.
Et c'est ainsi que celui qui était parti pour bâtir des barrages en Afrique, allait désormais scruter, dans le laboratoire de Monsieur Rappeneau, au Département de Physico-Chimie du Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay, l'étrange comportement du graphite fabriqué par Péchiney, sous l'effet des radiations nucléaires. Il faut dire que dans les années cinquante, en plein milieu de l'Angleterre, tout l'empilement de graphite qui faisait alors le cœur d'une centrale nucléaire (car le graphite en freinant les particules émises par l'uranium dégageait de la chaleur qui était transformée en énergie) a commencé subitement à se dilater et à faire sauter le toit en coupole qui le surmontait, laissant ainsi les gaz radioactifs se dégager, les poussières tomber sur les bonnes prairies du Sussex que les vaches allaient brouter et dont le lait allait alimenter pendant plusieurs mois les nourrissons du coin. Le gouvernement britannique n'a évidemment pas informé sa population et on n'a jamais su pourquoi cette année-là le centre de l'Angleterre a fourni un peu plus de petits crétins que d'habitude. Mais la France était inquiète car ses centrales de Marcoule étaient du même type. Et même si les Anglais avaient déjà trouvé le remède - il fallait laisser la centrale monter en température de temps en temps, cela s'appelait la recuire, et le phénomène ne se reproduisait plus - on avait quand même chargé Rappeneau et son équipe de refaire tous les essais. Moi j'étais chargé d'étudier l'effet de la radioactivité sur la porosité. Alors je remplissais les pores du graphite de mercure sous pression et les petites billes brillantes couraient sur le plancher du laboratoire et les petites laborantines en perdaient leurs cheveux et leurs dents. Ou alors je faisais passer toutes sortes de gaz à travers des chemises en graphite. Pour cela je devais monter des dispositifs compliqués, et moi qui ai eu toute ma vie horreur du bricolage, je devais braser des tubes en cuivre sur des raccords en laiton. J'ai tenu un an comme cela, puis je suis parti quand même au service militaire à Saumur, puis en Algérie, puis au Sahara. J'en parlerai une autre fois. Et puis je suis revenu, vingt-huit mois plus tard. J'ai fini un beau rapport de synthèse intitulé, Porosité et perméabilité aux gaz des graphites nucléaires, avec en exergue : « Dans chaque graphite il y a un pore qui sommeille ». .
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Ingénieur - il faut bien vivre - je n'ai pas arrêté de voyager, pour mon travail, de par le monde.
Tout en ne cessant jamais de voyager, plus encore, par mes livres.
Adepte de littérature mondiale d'abord. Et puis comme cette littérature vous apprend que l'Homme est un (comme disait Etiemble), j'ai commencé à m'intéresser tout naturellement à ces sciences que l'on dit humaines et qui nous parlent de religions, de mythes, de folklore, d'ethnologie, de contes de fées, de langues et d'écritures. D'histoire aussi bien sûr.
Et cela fait maintenant presque vingt ans que j'en parle dans mon Voyage autour de ma Bibliothèque, mon premier site. Auquel j'ai joint un deuxième site, mon Bloc-notes, pour des découvertes plus actuelles.
Mais : « tes textes sont trop longs », m'ont dit mes amis.
« Trop de détails, trop de digressions ».
Ils voulaient probablement dire que je devenais trop pédant et que je les ennuyais. Alors j'ai coupé, élagué, re-rédigé, essayé de rendre mes textes plus lisibles, plus attrayants aussi par la typographie, et faciles à télécharger (en PDF qui a l'avantage de conserver les illustrations, notes de bas de pages et pagination ou e-pub pour ceux qui préfèrent ce mode pour leurs liseuses électroniques). Le résultat : ces Carnets d'un dilettante. Voilà. Je ne sais pas si j'ai réussi. Dites-moi ce que vous en pensez. Si vous en avez envie.