Segalen et l'exotisme (et Loti et Bouvier et Kenneth White)(16 pages) © Copyright bibliotrutt.com |
C’est en 1978, près de 60 ans après la mort solitaire de Segalen dans une forêt bretonne, que sa fille Annie Joly-Segalen a publié ce fameux mais inachevé Essai sur l’Exotisme (voir : Essai sur l’Exotisme, une Esthétique du Divers par Victor Segalen, édit. Fata Morgana, 1978). Mais c’est par un extrait d’Equipée que je vais débuter ces réflexions sur l’exotisme ségalénien. C’est à la 21ème étape qu’il parle des paysages parcourus, mémorisés, de la terre jaune, de cette orgie d’impressions, de la solitude aussi (« sans miroir, n’ayant sous les yeux que les fronts chevalins de mes mules ou le paysage connu des yeux plats de mes gens habituels »). Et puis soudain une vision : « Ma vue habituée aux masses énormes s’est tout à coup violemment éprise de cela qu’elle voyait à portée d’elle, et qui la regardait aussi, car cela avait deux yeux dans un visage doré, et une frondaison chevelue, noire et sauvage autour du front. Et c’était toute la face d’une fille aborigène, enfantée là, plantée là sur ses jambes fortes, et qui stupéfaite moins que moi, regardait passer l’animal étrange que j’étais... ». Et voilà Segalen complètement interdit, « aux prises avec l’étonnant spectacle de deux autres yeux répondants ».
Si je cite ce passage c’est pour montrer toute la complexité de sa conception de l’exotisme. Ce n’est donc pas seulement cette découverte de la différence (il l’appelle le Divers), la jouissance qu’elle donne, la créativité qu’elle génère. C’est aussi comprendre que pour l’autre c’est nous-mêmes qui constituons cet étonnant Divers, c’est essayer de regarder avec les yeux de l’autre : c’est ce qu’il a essayé de faire avec les Immémoriaux, et aussi avec le Fils du Ciel, mais ce n’est pas le cas de René Leys ni même des Stèles. Les Stèles n’ont plus que l’habit chinois. Et René Leys n’est-ce pas le regard de l’Occidental qui cherche à percer le mystère de ce fameux Divers et qui se heurte, non pas à un mur, mais à un leurre ? L’idée fixe de Segalen était d’éviter de faire du Loti, éviter ses romans à l’eau de rose orientale, éviter le roman colonial et le point de vue du colon (pourtant Claude Farrère avait réussi un petit chef d’oeuvre, à mon avis, avec les Civilisés, une sacrée satire de ces fameux colons), éviter aussi le banal récit de voyage, et surtout les impressions subjectives de l’Occidental qui examine le Divers et le mesure à l’aune de ce qu’il connaît.
Mais on peut se demander si Segalen n’a pas subi un échec plus grave que le Segalen imaginaire de René Leys.
Promenades littéraires, côté Occident
Promenades littéraires, côté Orient
Chroniques d'une vie
Chroniques de l'Homme
accueil
Ingénieur - il faut bien vivre - je n'ai pas arrêté de voyager, pour mon travail, de par le monde.
Tout en ne cessant jamais de voyager, plus encore, par mes livres.
Adepte de littérature mondiale d'abord. Et puis comme cette littérature vous apprend que l'Homme est un (comme disait Etiemble), j'ai commencé à m'intéresser tout naturellement à ces sciences que l'on dit humaines et qui nous parlent de religions, de mythes, de folklore, d'ethnologie, de contes de fées, de langues et d'écritures. D'histoire aussi bien sûr.
Et cela fait maintenant presque vingt ans que j'en parle dans mon Voyage autour de ma Bibliothèque, mon premier site. Auquel j'ai joint un deuxième site, mon Bloc-notes, pour des découvertes plus actuelles.
Mais : « tes textes sont trop longs », m'ont dit mes amis.
« Trop de détails, trop de digressions ».
Ils voulaient probablement dire que je devenais trop pédant et que je les ennuyais. Alors j'ai coupé, élagué, re-rédigé, essayé de rendre mes textes plus lisibles, plus attrayants aussi par la typographie, et faciles à télécharger (en PDF qui a l'avantage de conserver les illustrations, notes de bas de pages et pagination ou e-pub pour ceux qui préfèrent ce mode pour leurs liseuses électroniques). Le résultat : ces Carnets d'un dilettante. Voilà. Je ne sais pas si j'ai réussi. Dites-moi ce que vous en pensez. Si vous en avez envie.